Complexe La livraison d'armes lourdes à Kiev: un défi logistique

ATS

27.4.2022 - 16:41

Formation, munitions, maintenance: l'envoi d'armes lourdes par des pays de l'Otan à l'Ukraine pour l'épauler face à l'offensive militaire russe fait figure de défi logistique. Mesuré sur le papier, il pourrait, si le conflit s'éternise, atteindre ses limites, estiment des spécialistes.

Une fois la question de la formation évacuée, reste celle de la maintenance. Comment assurer l'entretien de ces équipements et acheminer notamment les pièces détachées en cas de panne ou de destruction partielle? (image d'illustration)
Une fois la question de la formation évacuée, reste celle de la maintenance. Comment assurer l'entretien de ces équipements et acheminer notamment les pièces détachées en cas de panne ou de destruction partielle? (image d'illustration)
KEYSTONE

Emboîtant le pas à la France, à la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis ou encore à la République Tchèque, l'Allemagne a annoncé mardi qu'elle allait autoriser la livraison de blindés de type «Guepard» à l'Ukraine, dont une partie du territoire est bombardée depuis le 24 février par Moscou.

Réclamée de longue date par Kiev, cette aide militaire se concrétise au moment où les forces ukrainiennes font face à une lente progression de l'armée russe dans le Donbass (est) et dans le sud du pays.

Dans ce contexte, l'envoi «d'artillerie automotrice, de chars de combat et de blindés est à même de donner un punch considérable aux forces ukrainiennes, voire de rétablir certaines capacités amoindries par deux mois de guerre», souligne Léo Péria-Peigné, de l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Cet «apport capacitaire de court terme l'emporte» à ce stade «sur les considérations logistiques de moyen terme, qu'il faudra néanmoins poser», ajoute le chercheur français.

Formation

Pour l'heure, ces dernières semblent assez mesurées. Ecartant les équipements nécessitant plusieurs mois de formation et un soutien logistique énorme à l'image des chars Abrams américains, Paris, Washington, Londres et Prague ont par ailleurs privilégié des équipements requérant un appui logistique limité.

Les chars soviétiques tchèques, assez proches de ceux utilisés par l'Ukraine, ne devraient ainsi nécessiter que quelques heures de formation avant leur prise en main par l'armée ukrainienne. Quant aux canons Caesar français, ils sont réputés pour être «simples d'emploi», relève l'ingénieur militaire français Marc Chassillan. «On peut comprendre comment ils fonctionnent en une matinée.»

La situation est un peu plus complexe, en revanche, concernant les Guepards allemands. Ils sont dotés d'un «système d'arme sophistiqué» et «très exigeant» qui requiert une formation d'au moins «plusieurs semaines», ajoute le spécialiste.

Egalement envisagé, l'envoi des blindés allemands Marder à Kiev qui devraient, eux, moins poser de problème à des «combattants ukrainiens chevronnés qui combattent depuis 2014», selon l'ancien haut responsable allemand de l'Otan Hans Lothar Domröse.

Savoir-faire industriel

Une fois la question de la formation évacuée, reste celle de la maintenance. Comment assurer l'entretien de ces équipements et acheminer notamment les pièces détachées en cas de panne ou de destruction partielle?

Pour M. Péria-Peigné, «cette question est complexe, mais peut-être moins que dans d'autres pays n'étant pas dotés du potentiel industriel de l'Ukraine». Kiev dispose en effet «d'infrastructures et d'un savoir-faire non négligeable en matière de véhicules militaires et d'industrie lourde».

«Si la coopération entre industriels européens et militaires ukrainiens se déroule sans heurt, la question de l'entretien devrait suivre sans obstacles particuliers», ajoute-t-il.

Pour Carlo Masala, expert en défense et sécurité à l'Université de la Bundeswehr de Munich, la question de la maintenance ne doit pas entrer dans l'équation immédiate. «Formez-les à utiliser le modèle, envoyez-les en Ukraine. S'ils peuvent utiliser le Marder pendant trois semaines, c'est mieux que rien. Si le Marder tombe en panne, alors OK, pas de chance», a-t-il déclaré sur la Deutsche Welle.

Pénurie de munitions?

Reste l'épineuse question des munitions, qui pourrait se révéler réellement handicapante si le conflit s'éternise. «Tout le monde espère que le conflit va s'arrêter rapidement», explique Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). «Mais s'il se prolonge, le risque d'une pénurie de munitions n'est pas exclu, notamment concernant les canons Caesar».

L'annonce par l'Australie, le Canada et les Etats-Unis de l'envoi de pièces de 155 mm – du même calibre que les Caesar – pourrait toutefois permettre de mutualiser le stock.

Veto suisse

La question se pose aussi pour les blindés Marder qui dépendent de munitions produites en Suisse. Or, la Confédération a opposé son veto à l'envoi de munitions helvétiques à Kiev via l'Allemagne.

Interrogé par Keystone-ATS, un porte-parole du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) a toutefois précisé que la demande de Berlin ne concernait pas les chars Marder. Il n'a pas voulu donner de précisions sur le contenu de ces demandes «informelles».

Pour M. Péria-Peigné, cette «impasse logistique» pourrait être «bien plus dangereuse à court terme que la question des pièces détachées». Si les combats montent encore en intensité, les annonces faites à ce stade en matière d'envoi d'équipements militaires pourraient également se révéler rapidement insuffisantes.

«Si on fait la somme de ce qui est annoncé comme étant livré par les uns et les autres et qu'on met ça au regard des pertes enregistrées au cours des huit dernières semaines – en munitions, en matériel, etc. – au rythme actuel de l'attrition, cela va permettre de durer un mois et demi, pas plus», jauge M. Chassillan.