Crémation«En parler, ça ne fait pas mourir, mais ça facilite les choses»
AFP
28.10.2024
La crémation est de plus en plus choisie par les Français pour leurs obsèques, une pratique particulièrement répandue dans l'est de la France, poussant à la création de nouveaux équipements.
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28.10.2024, 08:35
Gregoire Galley
Si en 1980, le taux de crémation en France était de 1%, aujourd'hui, il a grimpé à 40% et 250.000 crémations sont réalisées chaque année. A Haguenau, cela concerne plus de six défunts sur dix.
«En Alsace, et en Alsace du Nord particulièrement, les gens demandent de plus en plus à être crématisés», constate Isabelle Deutschmann, adjointe au maire de la deuxième ville du Bas-Rhin.
Face aux «longues listes d'attente» des familles qui devaient se tourner vers les crématoriums de Strasbourg ou de Moselle, la ville a construit son propre équipement, inauguré en septembre. Il s'ajoute aux plus de 200 que compte la France. «C'est vraiment pour répondre à une évolution des pratiques par rapport à la mort», justifie l'adjointe au maire.
«Précurseur»
«Le taux de crémation augmente régulièrement en France, pour des raisons d'évolution des mentalités, de dématérialisation du souvenir, de l'éclatement de la cellule familiale, etc. et dans certaines régions, ce taux augmente plus, entre autres pour des raisons historiques et religieuses», explique à l'AFP Michel Kawnik, fondateur et directeur de l'association française d'information funéraire (Afif).
En Alsace, cela s'explique en partie par la présence des protestants, qui autorisent la crémation depuis la fin du XIXe siècle. «Certains me demandent si le fait d'être crématisé n'empêchera pas Dieu de les ressusciter mais je les rassure», rapporte le pasteur Jehan Claude Hutchen, inspecteur ecclésiastique de Strasbourg, rappelant le passage de la Bible: «tu es poussière et tu retourneras poussière». Côté catholique, l'Église n'interdit plus la crémation depuis 1963.
Aujourd'hui, dans le Grand Est, plus d'un défunt sur deux est crématisé, ce qui en fait la région où cette pratique est la plus répandue. Dans le sud de l'Alsace, près de Mulhouse, deux crématoriums sont voisins d'à peine 3 kilomètres. Le premier a été créé en 1978, à une époque où cette pratique était marginale.
«En 1978, il fallait quand même être un peu précurseur pour aller vers la crémation, ce n'était pas quelque chose de courant, mais ça a quand même pris assez rapidement», souligne Ingrid Bourgeois-Muller, cheffe des affaires funéraires de Mulhouse.
Depuis les années 2010, le taux de crémation à Mulhouse dépasse les 50%. Un choix destiné à éviter d'imposer à ses proches la «charge» de l'entretien d'une tombe: «Enlever les mauvaises herbes, nettoyer un monument, faire des réparations de temps en temps quand il y a quelque chose qui casse, ça peut rebuter».
«Plus de liberté»
Selon elle, la crémation offre «plus de liberté»: les cendres peuvent être dispersées dans un jardin du souvenir, en pleine nature ou être conservées dans une urne placée dans un columbarium ou un caveau funéraire.
Aujourd'hui, la crémation est choisie par «toutes les catégories sociales, de l'ouvrier jusqu'au PDG», souligne Ingrid Bourgeois-Muller. «Il y a encore des religions où ce n'est pas possible», note-t-elle en référence au judaïsme et à l'islam mais «ça pourra évoluer, comme le christianisme a évolué».
Pour M. Kawnik, l'intérêt des Français s'explique pour «des raisons de coût et d'organisation: on considère qu'une crémation est beaucoup plus simple». Évolution des mentalités, déclin de l'influence religieuse, mais aussi manque de place dans les cimetières, les explications sont multiples.
Selon une étude du Crédoc publiée en mai 2024, 51% des sondés préféraient une crémation pour leurs obsèques contre 30% un enterrement. Au total, 24% des sondés justifiaient cette préférence pour «ne pas embarrasser la famille» et 18% pour des raisons écologiques. «Il est proposé des cercueils qui ne sont pas en bois massif. Il y a même des cercueils en carton, qui sont beaucoup moins polluants», décrit M. Kawnik.
A Haguenau, Isabelle Deutschmann a fait son choix: «J'ai déjà dit à mon mari et à mes enfants que je souhaitais être crématisée», ne se voyant pas «être enfermée dans un cercueil sous terre». Pour elle, quel que soit le choix, il est important de l'exprimer. «En parler, ça ne fait pas mourir, mais ça facilite les choses».